Vers l'éradication de la poliomyélite ?
Pr. Pierre Saliou, Président de l'Académie des sciences d'Outre-mer, Professeur agrégé du Val de Grâce, Président d'honneur de la Société de pathologie exotique
La certification de l'éradication de la variole en 1980 avait permis de démontrer qu'il était possible de vacciner toute la population du monde. Le programme élargi de vaccination (PEV) préconisé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) fut alors mis en place. Dans les années 1980, la véritable euphorie entraînée par l'augmentation exponentielle de la couverture vaccinale des enfants dans toutes les régions de l'OMS incita l'Assemblée mondiale de la santé (AMS) de 1988 à lancer l'Initiative Mondiale d'Éradication de la Poliomyélite, bien que cette maladie avait des caractéristiques épidémiologiques qui rendraient cette éradication plus difficile que celle de la variole. Certes, il existait deux excellents vaccins, le vaccin inactivé injectable (VPI de Salk) et le vaccin vivant atténué oral (VPO de Sabin) qui fut choisi pour cette initiative. La stratégie appliquée fut bien sûr la vaccination systématique des nourrissons dans le cadre du PEV complétée par des journées nationales de vaccination, une surveillance au laboratoire de tous les cas de paralysies flasques aigües et des campagnes d'immunisation par "ratissage" autour des nouveaux cas. Les débuts de la campagne furent spectaculaires: de 35000 cas notifiés (350000 estimés) dans 155 pays endémiques en 1988, on passa à 784 notifiés cas dans 7 pays en 2003. Deux phénomènes vinrent alors entraver le bon déroulement de cette campagne : d'une part l'appel à la suspension de la vaccination anti-poliomyélitique dans l'État de Kano au nord Nigéria entraînant dans ce pays en 2004 une forte poussée épidémique qui diffusa dans 14 pays indemnes et, d'autre part, l'apparition dès 2000 mais surtout à partir de 2005 , de formes paralytiques dues à des poliovirus résultant de la recombinaison génétique dans la nature de virus vaccinaux avec d'autres entérovirus (PVDVc). Lors de l'AMS de 2007, une résolution demandant l'intensification des efforts d'éradication a été adoptée sans date précise pour atteindre l'objectif. Cette intensification a porté ses fruits: en 2012, il ne reste plus que 3 pays d'endémie, le Nigéria, le Pakistan et l'Afghanistan, contre 125 en 1988. Mais pour atteindre l'éradication, plusieurs arguments militent pour un abandon du VPO, en particulier afin d'éviter l'émergence de nouveaux virus pathogènes dérivés des souches vaccinales, et son remplacement par le VPI, parfaitement immunogène, pouvant être incorporé dans des combinaisons et dont le coût est devenu très abordable. Malgré toutes les difficultés, l'éradication de la poliomyélite est possible. Mais quand ? Il s'agit là d'une volonté politique et sociétale.